Compte-rendu de la journée professionnelle 2018

Problématique : Hyperlecture documentaire et recherche d’information, quels apprentissages, quelle pédagogie ?

1. Intervention bureau APDEN

2. Conférence 1 : J. F. Rouet – La lecture des textes numériques, processus cognitifs et apprentissages.

3. Conférence 2 : A. Tricot –  Vers une didactique de la lecture de documents complexes


  1. Introduction communicative

Dans une communication introductive, Catherine Novel nous livre une synthèse de lectures pour mieux appréhender la notion d’hyperlien et d’hyperlecture. Elle situe l’hypertexte dans son contexte historique en s’appuyant sur les travaux de Georges Vignaux. Il apparait que la notion n’attend pas l’apparition du numérique pour susciter l’intérêt des chercheurs et pédagogues. De Ted Nelson à Vanevar Bush, les espoirs suscités pour une forme d’intelligence amplifiée grâce à l’hypertexte, se concrétisent avec les travaux de Tim Berners-Lee et l’apparition du World Wide Web au début des années 90. Mais l’utopie imaginée laisse la place à l’inquiétude. En 2008, Nicholas Carr pose la question « Google nous rend-il stupide ? ». Heureusement, la réponse n’est pas dichotomique. C’est ce que nous montrent les travaux de l’équipe de Claire Bélisle, dont les conclusions sont transcrites dans un ouvrage consacré à la lecture numérique qu’elle a coordonné. Le recul de la lecture sur papier, de la lecture littéraire en particulier, s’il est avéré, ne signifie pas un recul de la lecture en général. Au contraire la lecture sur écran reste un « acte de lecture » ; celui-ci évolue dans ses modalités et ses finalités et l’appréhender comme un tout homogène est un leurre (Eliana Rosado). Il convient par conséquent de faire évoluer notre paradigme d’évaluation et d’appropriation de la lecturebasé jusqu’à la fin du XXe siècle sur l’appropriation du texte littéraire (Christine Détrez). Ceci nous conduit à nous interroger sur les compétences des élèves en matière d’extraction de l’information lorsqu’ils lisent sur écran. C’est l’objet d’une étude de la DEPP, dont les résultats pointent un manque de maîtrise de la lecture finalisée sur écran. La notion d’hyperlienne devrait pas être éludée car elle interroge des capacités cognitives importantes qu’il conviendrait de travailler / développer, auprès des élèves. L’hyperlecture, foisonnante en termes d’accès au contenu, d’accès à l’information, peut donner au lecteur l’illusion de dominersa lecture alors qu’il confond souvent pré-lecture et lecture profonde des textes (Alain Giffard). Une illusion qu’il est possible de surmonter grâce à un apprentissage spécifique, pour mieux comprendre cette nouvelle « culture du lien »(Rajah Fenniche) caractérisée par une interactivité permanente. Les frontières entre les textes s’effondrent avec les possibles de l’hyperlien, les comportements évoluent, la pensée associativese développe. Il est donc nécessaire de la cultiver…

Dans un deuxième temps, Sylvie Girard propose un regard sur les pratiques pédagogiques observées chez nos collègues. En effet, la profession n’a pas attendu que les chercheurs se saisissent de la question pour s’interroger sur l’impact des écrans sur les pratiques de lecture et de recherche d’information. Ainsi, la FABDEN introduit la notion d’hypertexte dans son nouveau référentiel de compétences, dès 1997. Elle la reprend en 2014 lorsqu’elle fait évoluer le référentiel vers un « curriculum de compétences ». Dans l’académie de Toulouse, le groupe de mutualisation des travaux académiques travaille sur une matrice « éducation aux médias et à l’information » et propose en 2016 un document extrêmement riche et dense pour intégrer l’EMI dans les séances pédagogiques. La part faite à l’hyperlecture et à l’hypertexte y est importante. Le groupe technique documentation de l’académie de Grenoble se penche sur la construction d’un parcours de lecture numérique au collège et au lycée. A travers ces travaux on retrouve des notions récurrentes comme celles d’hyperlien, de document de collecte, de moteur de recherche ou de « parcours de lecture » et « stratégie de recherche ». Les travaux de l’APDEN ont abouti à la publication du Wikinotion qui propose une liste des notions liées à l’information documentation. A chacune d’entre elle sont associées des séances pédagogiques.

Une forme d’unanimité se retrouve donc chez les professionnels du terrain en faveur d’un enseignement de l’hyperlecture et de ses spécificités qui, loin de rendre obsolètes les enseignements info-documentaires plus « classiques » (identification du besoin, compréhension du sujet, recherche, tri et évaluation, appropriation, communication de l’information), vient en réaffirmer la pertinence en s’inscrivant avec eux dans une totale cohérence. Cette conclusion est reprise et développée par nos invités, Jean-François Rouet et André Tricot.

Les diaporamas associés à cette introduction : cliquez !


2. La conférence de Jean-François Rouet – La lecture des textes numériques, processus cognitifs et apprentissages.

La présentation de Jean-François Rouet a porté l’accent sur la difficulté d’un élève qui arrive au collège confronté à une « déferlante » de textes documentaires. Il souligne une rupture dans les apprentissages et un décalage très important entre les exigences et les capacités de lecture des élèves. Entre le CM1 et la 6e l’élève passe d’un apprentissage de la lecture de la langue à la lecture documentaire soit à des pratiques de lecture complexes. La question de la difficulté n’est pas liée à la maîtrise de la lecture à proprement parler, mais bien à celle de la capacité à traiter l’information, à adapter son « savoir lire » à la tâche demandée, le but n’étant pas ici de lire le document mais de s’en servir pour en extraire l’information pertinente. Le « modèle simple » de lecture acquis à l’école primaire ne suffit pas au collège. L’introduction des technologies numériques, et par définition de la lecture de textes numériques, de par leurs spécificités – format de l’écran, lisibilité, hyperconnectivité… – complexifie les apprentissages. Le zapping est une obligation, une contrainte, qui mobilise fortement les ressources cognitives. De plus, la mutation des processus éditoriaux, la profusion incontrôlée d’informations sur le web imposent au lecteur une « vigilance épistémique » accrue qui se traduit par une capacité à valider l’information, sa fiabilité et sa pertinence.

Il faut donc considérer les spécificités liées à la lecture de textes numériques dans une continuité des apprentissages liés au traitement de l’information. Pour apprendre à chercher dans un texte, à accéder à un texte pertinent, il faut savoir déconstruire l’organisation du texte proposée pour en extraire l’information utile. Parallèlement la capacité à confronter les sources, à mettre en relation des textes – y compris des textes contradictoires et qui ne sont pas forcément faits pour être croisés – devient indispensable pour être capable d’évaluer la qualité et la crédibilité de l’information. Il s’agit ici d’aider l’élève à développer une compréhension hyper-textuelle. On attendra de lui qu’il sache projeter son besoin d’information dans le processus de recherche et à rester maître de sa propre organisation en opérant les bons choix.

Il faudra retenir que la recherche d’information n’est pas un processus trivial. Il nécessite de mettre en place une stratégie de lecture, qui passe aussi par la faculté de savoir ne pas (tout) lire. Cela exige un entraînement, des exercices, la mise en place d’ateliers de lecture fonctionnelle qui permettent aux élèves d’avoir un retour sur la pertinence de leur stratégie de recherche  avec en particulier un travail sur la lecture balayage/repérage, sur la structure du texte (titre, paragraphe…) et sur la finalité de cette structure. La présence de livres dans l’environnement familial, leur nombre ainsi que les possibilités de pratiques de lecture en dehors de l’école ont un impact avéré sur les compétences de lecture des élèves. Le rôle de la mémoire fonctionnelle est aussi à prendre en compte, certains enfants oubliant au moment de la lecture les termes de la recherche (oubli de la question). En fin de cycle 3, un élève a une petite mémoire de travail, encore en développement. L’utilisation d’un moteur de recherche comme Google ne résout pas les difficultés auxquelles sont confrontés les élèves.

Après l’éducation au choix des sources, l’apprentissage de l’évaluation représente un autre domaine à explorer, encore nouveau et pour lequel il existe encore peu de données. Les enfants à 4-5 ans ont une conscience des sources : ils savent prendre ou laisser des propos en fonction de l’émetteur car, dans leur petit univers, les émetteurs d’information sont en nombre limité ; ils font la différence entre le maître ou la maîtresse, les parents et l’adulte lambda auquel ils accordent moins de confiance et montrent par là une compétence à évaluer l’information ; ils ont une conscience du rôle social, du statut, de la compétence. En lecture, c’est tout autre chose car, en l’absence de l’interlocuteur, et il y a une incertitude sur son identité ; les enfants montrent qui plus est une conscience très limitée des mécanismes de production (auteur, éditeur, finalité de la production…).

Il faut du temps pour apprendre à ne pas céder à l’apparente facilité d’un accès à l’information pertinente grâce à Google, pour envisager correctement les mécanismes de diffusion et de production des textes comme pour dépasser la représentation naïve de la compétence et de l’autorité telles qu’elles se manifestent dans les textes. Ces stratégies de lecture seront centrées sur le contenu de la lecture, sur un travail de crédibilité des sources.


3. La conférence d’André Tricot – Vers une didactique de la lecture de documents complexes.

André Tricot revient à la base en se penchant sur les fondamentaux de l’enseignement : puisqu’il est important d’enseigner la lecture hypertexte dans le cadre de l’information documentation, pour être efficace il va falloir cerner correctement ce que l’on veut enseigner. Il s’attarde sur le concept d’apprentissage, se demande « qu’est-ce qu’apprendre ? » puis sur les processus d’apprentissage. A partir de là, il s’attache à décortiquer la manière de concevoir un enseignement.

Un apprentissage scolaire va permettre de transformer un apprentissage adaptatif, et permettre à l’élève de distinguer la tâche accomplie (issue de l’apprentissage adaptatif) de la connaissance attendue. Il pourra alors utiliser ses connaissances dans des situations pertinentes. Dès lors, en contexte d’enseignement de l’information documentation, il faudra définir quelle connaissance liée à la recherche d’information on veut enseigner. Il est primordial de savoir définir l’enjeu, l’attendu. Par exemple, veut-on que les élèves comprennent ou mémorisent ?

Afin de pouvoir définir clairement ces attendus, et mettre en évidence les processus d’apprentissage, A. Tricot s’appuie sur ses travaux avec Musial, M. & Pradère F[1]:

Les processus d’apprentissages correspondant aux six formats de la connaissance.

Dans l’enseignement, quand on a identifié pourquoi on enseigne une méthode, un concept, un savoir-faire une connaissance spécifique, quand on a identifié ce que l’on veut que les élèves apprennent, on se demande comment ils vont faire. Vont-ils devoir apprendre par coeur, comprendre, mobiliser d’autres connaissances, généraliser pour transposer à d’autres situations ?

Quelle stratégie pédagogique élaborer pour y arriver ? Elle va se traduire par un chemin sur cette carte des connaissances.

Une façon de progresser va être de comprendre ce que l’on fait : mettre des mots sur ce que les élèves savent faire, et leur faire identifier leurs limites. Alors seulement on pourra envisager de mettre en place des apprentissages nouveaux.

Dès lors pour concevoir un enseignement, il va falloir l’envisager comme un travail d’élucidation perceptuelle.

définir la notion à enseigner

⇒déceler quelles sont les notions qui peuvent lui être associées.

⇒Plus le domaine est structuré, plus il est facile à maîtriser

Exemple : la fiabilité ou qualité documentaire (selon Sahut et Tricot, 2014).

➱ Enseigner = parcourir une distance. L’élève sait déjà quelque chose, se demander quoi ?

Identifier l’état de leurs connaissances ⇒identifier la distance à parcourir

➱ Identifier les tâches pour les apprentissages scolaires, toutes sont intéressantes, tout dépend de l’objet d’apprentissage.

  • d’étude
  • de résolution de problème
  • de recherche d’information
  • de dialogue
  • de production
  • les jeux

➱ Associer l’idée d’engagement à la tâche, définir le niveau d’engagement souhaité :

  • passif recevoir
  • actif sélectionner
  • constructif générer
  • interactif collaborer

➱ Concevoir des supports d’enseignement pour les tâches[2]

  1. Eliminer tout ce qui est inutile ou décoratif
  2. Mettre en exergue ce qui est important : mots clés et désignation
  3. Eliminer ce qui est redondant (sauf point précédent)
  4. Limiter l’écrit pour commenter une image : utiliser l’oral
  5. Intégrer spatialement et temporellement ce qui est lié, y compris les légendes
  6. Faire des pauses, se mettre au rythme des élèves, guider la prise de notes
  7. Séquencer la présentation des figures complexes
  8. Impliquer les élèves, s’adresser à eux, personnaliser le message
  9. Utiliser les animations pour les apprenants avancés, ou pour l’apprentissage de gestes. Sinon commencer par des images statiques, successives.

En conclusion, on retiendra que l’information documentation s’enseigne comme les autres disciplines et que « bien entendu, pour enseigner, il faut avoir des heures d’enseignement[…]. Le piège de notre discipline est de se laisser classer comme une discipline utilitariste[…]. Or dans une époque où nous passons notre temps à la recherche d’information, il est nécessaire de l’enseigner. La maîtrise de l’information est un enjeu majeur pour l’éducation ».

[1]Manuel Musial, Fabienne Pradère et André Tricot, « Prendre en compte les apprentissages lors de la conception d’un scénario pédagogique », Recherche et formation [En ligne], 68 | 2011, mis en ligne le 15 décembre 2013, consulté le 12 mai 2018. URL : http://journals.openedition.org/rechercheformation/1483 ; DOI : 10.4000/rechercheformation.1483

[2]Mayer, R. (Ed), Cambridge handook of multimedia learning. Cambridge University Press Sweller, I., Ayres, P., & Kalyuga, S. (2011). Cognitive load theory. Springer

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